Certaines personnes m’accusent de tirer de tout ce que j’écris un profit dont je ne perds pas une miette. Ce n’est pas, de ma part, une politique délibérée, vraiment, mais je dois reconnaître que le profit semble effectivement s’accumuler. Même en 1954 (il y a donc longtemps), cela arrivait.
Quand j’ai écrit Il vaut mieux pas pour mon école, on ne me paya naturellement pas la nouvelle, et je ne pensais pas qu’on le ferait. Peu de temps après, cependant, Martin Greenberg de Gnome Press me demanda une introduction pour une nouvelle anthologie qu’il préparait, All About the Future, et dont la publication était prévue pour 1955.
Je n’avais vraiment pas envie de refuser parce que j’aimais bien Martin Greenberg, même s’il payait les droits d’auteur avec des années de retard. D’un autre côté, je ne souhaitais pas le récompenser en lui donnant de nouveaux textes. Je fis donc un compromis.
— Que diriez-vous d’une petite nouvelle, à la place ? dis-je, et je lui offris. Il vaut mieux pas. Il la passa en guise d’introduction (l’autre introduction, plus conventionnelle, était de Robert A. Heinlein) et, merveille des merveilles, il me la paya dix dollars.
La même année, je me suis trouvé à un autre tournant. (Curieux, le nombre de tournants qu’il y a dans la vie, et combien il est difficile de les reconnaître quand ils se présentent.)
J’avais écrit de la non-fiction dans une faible mesure, depuis le temps où j’avais passé ma thèse de doctorat. II y avait, par exemple, des articles scientifiques en liaison avec mes recherches. Ceux-là n’étaient pas nombreux car je n’avais pas mis longtemps à m’apercevoir que je n’étais vraiment pas un chercheur enthousiaste. Et puis, aussi, rédiger des articles était un travail épouvantable, car les textes scientifiques sont écrits dans un style abominable, et sont un encouragement donné à la médiocrité.
Le manuel était plus agréable, mais en l’écrivant, j’avais été constamment gêné et assujetti à certaines choses, à cause de mes deux collaborateurs – des hommes merveilleux, tous les deux mais avec des styles différents du mien. Ma frustration m’avait conduit à désirer écrire tout seul un livre de biochimie, non pour les étudiants en médecine, mais pour le grand public. Je considérais pourtant cela comme un rêve, parce que je ne pouvais vraiment pas voir au-delà de ma propre science-fiction.
Pourtant, mon collaborateur, Bill Boyd, avait écrit un livre populaire sur la génétique, Genetics and the Races of Man (Little-Brown, 1950) et, en 1953, débarqua de New York un certain Henry Schuman, propriétaire d’une petite maison d’édition qui portait son propre nom. II essaya de persuader Bill d’écrire un livre pour lui, mais Bill était occupé et, comme c’est une âme au cœur tendre, il essaya d’user de tact auprès de M. Schuman pour refuser, tout en me le présentant et en lui suggérant de me demander à moi d’écrire un livre.
Bien entendu, j’ai accepté et j’ai écrit le livre rapidement. Pourtant quand arriva le moment de la publication, Henry Schuman avait vendu sa maison à un autre petit éditeur, Abelard. Alors, quand parut The Chemicals of Life en 1954, les éditions s’appelaient Abelard-Schuman.
C’était le premier livre de non-fiction qui paraissait sous mon nom, sous mon seul nom. Le premier livre de non-fiction que j’avais écrit pour le grand public.
De plus, cela s’était révélé être un travail très facile, bien plus facile que la science-fiction. Il ne m’avait fallu que dix semaines pour écrire le livre, sans jamais y passer plus d’une heure ou deux par jour, et c’était très très drôle. Immédiatement, je me mis à penser à d’autres livres de non-fiction du même genre que je pourrais écrire, et je me traçai une ligne de conduite qui devait m’occuper toute ma vie – bien que je n’eusse pas la moindre idée du temps que cela me prendrait.
La même année, aussi, nous commençâmes à avoir l’impression qu’un deuxième enfant était en route. Celui-ci nous prit aussi à l’improviste et créa un sérieux problème.
Quand nous avions emménagé dans notre appartement de Waltham, au printemps 1951, il n’y avait que nous deux. Nous couchions dans une pièce, et l’autre me servait de bureau. J’ai écrit mon livre The Currents of Space[18] (Doubleday, 1952) dans cette deuxième pièce.
Quand David est né et est devenu assez grand pour avoir besoin d’une pièce à lui, il prit la seconde chambre, et je transportai mon bureau dans la pièce principale. Et c’est là que j’ai écrit The Caves of Steel[19] (Doubleday, 1953).
Puis, le 19 février 1955, ma fille, Robyn Joan, est née, et j’ai emménagé dans l’entrée, par anticipation. C’était le seul endroit qui me restait. Le jour même où on la ramena de l’hôpital, j’ai commencé la quatrième de mes nouvelles sur Lucky Starr. C’était Lucky Starr and the Big Sun of Mercury (Doubleday, 1956) et je l’ai dédié « À Robyn Joan, qui a fait de son mieux pour y fourrer son nez ».
Sa façon d’y fourrer son nez était vraiment trop effective. Avec un enfant dans chaque chambre, c’était assez désagréable mais, par la suite, Robyn Joan serait assez grande pour avoir besoin d’une chambre à elle. Nous prîmes donc la décision de chercher une maison.
Ce fut traumatisant. Je n’avais jamais vécu dans une maison. Durant les trente-cinq années de ma vie, j’avais vécu dans une série d’appartements en location. Pourtant, il faut ce qu’il faut. En janvier 1956, nous avons trouvé une maison à Newton, dans le Massachusetts, à l’ouest de Boston, et nous avons emménagé le 12 mars 1956,
Le 16 mars 1956, Boston subit une de ses plus mémorables tempêtes, et il tomba un mètre de neige. N’ayant jamais eu à pelleter de la neige auparavant, j’eus à m’atteler dès le début à un boulot monstre, à dégager une allée profonde et, large menant à notre maison. À peine étais je parvenu à m’en sortir que, le 20 mars 1956, il y eut une seconde tempête, et il tomba un mètre vingt de neige en plus.
La neige fondue entassée contre les murs de la maison se fraya en chemin dans le bois jusqu’au sous-sol, et nous eûmes droit à une petite inondation… Ciel, comme nous aurions aimé nous retrouver dans l’appartement.
Mais nous y avons survécu, et puis vinrent des ennuis plus sérieux. Ma vie avait changé si radicalement, avec deux enfants, une maison, et une hypothèque, que j’en vins à me demander si je serais encore capable d’écrire. (J’avais terminé mon roman, The Naked Sun[20], publié chez Doubleday en 1957, deux jours avant le déménagement.)
Vous savez, on a tellement le sentiment qu’un écrivain est une plante délicate qu’on doit entretenir avec soin si l’on ne veut pas qu’elle dépérisse qu’un changement traumatisant dans le mode de vie de quelqu’un a tendance à donner le sentiment qu’on a coupé toutes les fleurs.
Avec cette tempête, et le pelletage de la neige, et le pompage dans le sous-sol et des tas d’autres choses, je n’avais pas l’ombre d’une chance de me mettre à écrire pendant un certain temps.
Mais Bob Lowndes me demanda alors de lui donner une nouvelle pour Future et, en juin 1956, je commençai à écrire pour la première fois dans ma nouvelle maison. C’était la première vague de chaleur de la saison, mais il faisait frais dans le sous-sol. C’est donc là que j’installai ma machine à écrire, mon unique luxe étant la possibilité d’être au frais pendant une vague de chaleur.
II n’y eut pas de problème. Je pouvais encore écrire. Je rédigeai Tous des explorateurs, et il parut dans le numéro 30 de Future (les numéros de ce magazine paraissaient alors si irrégulièrement qu’il ne semblait pas prudent de mettre un nom de mois sur les exemplaires).